Le Corps, l'Esprit et le temps

La thématique de cette neuvième édition aborde une réflexion sur le Corps, l’Esprit et le temps. Elle souligne ces aspects indissociables de l’existence. Ils sont associés à chaque individu et, par la même, sont les qualités les plus importantes de l'art performance. Vivant, immédiat, ici et maintenant, tout comme la vie elle-même.

C'est une discipline par laquelle l'artiste n'agit pas en qualité d'acteur ou feint de jouer un rôle. Il n’est pas quelqu'un d'autre, n’utilise pas d'autres personnes comme des acteurs, mais ne fait qu'un avec ses actions. La performance est l'expression la plus rigoureuse de l'unité du corps et de l'esprit de l'art contemporain.  C’est probablement la raison pour laquelle cette forme artistique possède un fort ancrage dans l'art contemporain asiatique et particulièrement en Chine. C’est un média dans lequel se trouve l’unité de la pensée et de l'existence physique. Les artistes originaires de Chine, Hong Kong, Taïwan et de Corée du Sud vous  en donneront un aperçu du 11 au 15 septembre dans l’espace public de Sète.

L’art action est une expression essentiellement humaine déterminée par son immédiateté, son processus créatif dont le corps et l'esprit forment un tout indissociable. Dans ce processus, l'artiste engage une réflexion sur la manière dont il va s'exprimer, créer une idée, puis, pense au mode de mise en action, aux matériaux à utiliser ou ne pas utiliser, aux mouvements à exécuter, aux actions à mettre en œuvre.

Au moment de la réalisation de l'œuvre en direct, le processus créatif change fréquemment de ce qui était initialement prévu. Un changement décidé par le corps et l'esprit, à cet instant, unis comme un seul. L'artiste d'action suit très rarement une chorégraphie spécifique, comme pour la danse ou le théâtre. Au lieu de cela, son corps, son esprit, sont influencés par le contexte immédiat, les personnes environnantes, le lieu, et l'ambiance au moment de l'exécution.

A cet instant, l'artiste suit un courant instantané d'émotions et de pensées. Porté par son corps et son esprit solidaires, il modifie l'action ou non, car elle va dans le sens de son unification. Bien sûr, l'expression de cette unité n'est pas simple, elle ne se produit pas automatiquement, mais lorsque l’artiste y parvient, elle se manifeste avec force, émotionnelle et intellectuelle. Ce n'est pas toujours le cas. En effet, il s'agit d'un processus immédiat, de l’ici et maintenant de la création. Mais si le risque fait partie intégrante de l'œuvre d’action en direct et l'une de ses qualités intrinsèques, alors il entre en résonnance avec le courage, l'honnêteté, l'intuition et l'improvisation instantanée.

Corps et esprit en totale cohésion au moment de la création, est assurément l’aspect le plus passionnant et attractif de l'art action. Devant l’artiste, lui-même confronté à l'inconnu, nous n’avons aucune idée de la suite lors de son intervention. Nous ne pouvons en présager la teneur, ni ce qui va réellement se passer. Nous assistons simplement à l'acte de création in situ dans le temps. Le caractère imprévisible et inattendu, le possible changement instantané du sens dans une œuvre, sont des qualités stimulantes pour notre propre imagination. Nous pouvons seulement imaginer les suites du déroulement de l’action. Donc, nous continuons à voir et à vivre ce qui suit ...

Cependant, lorsque vous assistez à une œuvre de performance, vous vous tenez devant l'artiste en action. Ce n'est pas une photographie, une vidéo ou une peinture que vous regardez, mais le moment même de la création dont vous êtes le témoin. C'est cet instant véritable qui rend l'art action si vulnérable et à la fois suscite tant l’intérêt. Vous ignorez la nature du moment suivant, la seconde, la minute suivante... Vous devez sentir et être attentif à l’action qui se déroule face à vous.

Appréhender une œuvre, tenter d’en saisir l’essence, passe par un questionnement naturel : qu'est-ce que cela veut dire ? Quels sont mes ressentis ? A quoi cela me fait-il penser ? Ces questions, somme toute très simples,  sont en mesure de développer notre propre capacité de réflexion et de compréhension.

C'est sans doute exactement ce dont il est question ici : encourager notre réflexion à notre égard, par nous-mêmes, en utilisant notre imagination, notre propre expérience afin d’être en mesure de s’approprier et enrichir notre connaissance, et finalement comprendre l’autre… Plus encore, tenter d’emprunter le chemin vers notre for intérieur.

Puis, il est intéressant d’examiner la signification d'une action. Tous les détails sont également importants à notre compréhension. La posture, les vêtements, les objets ou matières utilisées, le mouvement ou le non-mouvement, la gestuelle durant l'action, le regard, ou encore, l’application du temps.

S’il est une notion dont l'art action est fermement associée, c’est bien le temps, qui, outre notre corps et notre esprit, est probablement notre plus précieuse ressource.

Que faisons-nous de notre temps, comment l’utilisons-nous ?

De manière efficace, qualitative, lente, rapide, avec mouvement ou sans mouvement ? Lui donnons-nous une valeur ? Devons-nous le donner ou le monnayer ? Que signifie une marche rapide, un mouvement lent ? Quel est le sens intrinsèque de faire une chose qui semble être sans importance ?

Lorsque nous observons une œuvre d'art action, il est possible de renforcer notre conscience du temps et indirectement, ​​la façon dont nous l’utilisons.

Il est encore une qualité notable dans l'art action, au delà de l’artiste, du corps et de l'esprit dans le temps, il s’agit de l'absence de matériau dominant (l’outil, le media). Cela permet à l'artiste de s’orienter librement vers les supports de son choix, et d’en adopter un ou plusieurs ou d’ailleurs, aucun. C’est une qualité singulière. En effet, l'artiste n'est pas tenu d'utiliser à plusieurs reprises un matériau spécifique (matériels, outils, médias) mais le processus créatif va au-delà de la matière, de ses limites intrinsèques et de répétitions.

De notre point de vue, ce qui importe dans l'art action est la signification du corps et de l'esprit, l'action poursuivie, son aspiration et le temps qui lui est consacré. Ces caractères particuliers donnent à l’œuvre sa présence, l'énergie invisible émanant de l’artiste durant sa pratique.

Ainsi, il se distingue des autres supports artistiques limités à l'objet-trace, une émotion ou une pensée, qu'il s'agisse d’une peinture, une sculpture, une photographie, un film ou une installation. Cela signifie la séparation physique de l'œuvre réalisée et de l’artiste corps-esprit. Concernant l'art action, cette aliénation de l’unité de l’être humain dans le temps ne se produit jamais.

Corps, esprit, temps, sont les éléments qui, finalement, créent une présence et dans une plus large perspective, l'existence, la présence d’un individu en action à la concentration accentuée. L'intensité accrue de ces qualités génère des émotions qui nous touchent, nous poussent à rester en alerte sans quitter les lieux, devant cette expérience artistique. L'artiste, en réalisant des actions dans la ville, ici et maintenant, ne peut qu'attiser notre curiosité. Les questions surgiront alors : pourquoi, comment et pour quelles raisons fait-il cela ? Afin, sans doute,  d’explorer la signification de ce que nous éprouvons, à travers le questionnement silencieux de notre propre compréhension.

L’unité de sa personne et la temporalité constituent les outils de base de l'artiste, il les met en œuvre durant son travail. Il créé une présence et, au-delà, une énergie très sensible. Chacune des phases de déroulement intègre ici le processus, c’est l'expérience vécue de «ce qui va se passer" lorsque nous observons une action en direct. Cette expérience, comme un effet sur le temps que nous accordons à l’action, la sensation d'attente consécutive est un sursis continuel nous reliant à notre propre être et, à ce titre, nous unit aux actions des artistes, en résonnance avec d’autres individus. L’unité accentue le sentiment de participation et de partage si intense dans l'art action, la perception d'appartenance et de solidarité avec nos semblables. Tous ensemble à l’unisson ! 

Jonas Stampe,

Juillet 2013.